Dans un décor particulièrement sobre, un jeune plongeur à l'oeil vif, saisi en plein vol. s'élance avec élégance vers une eau houleuse :
"Au flot glacé tu goûteras
Et chez les héros tu vivras..." *
* Extrait d'un poème grec anonyme trouvé dans une tombe d'initié orphique (IVè s. av. J.C.) à Pétalia en Eubée; traduction de Marguerite Yourcenar (cf. La couronne et la Lyre, Gallimard 1979)
L'éphèbe s'est élancé depuis une construction (des colonnes à tambours ?). Deux maigres arbustes encadrent la scène. C'est ce que nous apercevons d'emblée. Mais pourquoi son plongeon est-t-il qualifié de "métaphorique" (ou symbolique) ?
Tout comme celui bien connu de la tombe étrusque de la Chasse et de la Pêche à Tarquinia, le plongeon du jeune homme est rituel : il est synonyme du passage dans une autre vie ou vers un Au-delà...; l'eau est un élément de purification...Il s'agirait en somme d'un plongeon conventionnel suivant une symbolique funéraire religieuse en évolution à cette époque...
En tout cas, le plongeur n'est pas ici représenté dans une de ses activités sportives ! Ce n'est pas si simple ! C'est, semble-t-il, la raison pour laquelle des commentaires de second niveau, plus savants donc, ont été avancés. Il faut bien entendu se rallier d'abord aux explications du découvreur de la tombe : Mario Napoli dans son étude: La Tomba del Tuffatore (1970), Bari :
L'archéologue y étudie les aspects techniques, historiques et sémantiques de la découverte.
S'inspirant des travaux de Jérôme Carcopino sur la Porte Majeure à Rome, il donne une nouvelle dimension à ses premières interprétations.
L'archéologue Agnès Rouveret a contribué à cette étude du plongeon dans un ouvrage déjà cité : "Rites et imaginaire de la mort dans les tombes étrusques archaïques (2000-2001) et participé à un collectif (2016) malheureusement épuisé (?)
La représentation du plongeur aux lignes si pures n'est pas simplement poétique; pourvue de son statut "métaphorique", elle prend une autre dimension: le défunt plonge vers l'Au-delà. Il va affronter la mort mais l'impact avec l'eau est loin de susciter la frayeur inspirée par les visions violentes de mort qu'offrira la décoration funéraire étrusque aux siècles suivants ( Tuchulcha, Charun aux Vè et IVè s. av. J.C.)...
Dans son ouvrage, La tomba del Tuffatore, Mario Napoli pressent la teneur orphico-pythagoricienne de la décoration intérieure de la tombe.
Il faut rappeler qu'à Poseidonia, cité limite entre la Campanie, la Grande Grèce et la Lucanie indigène on trouve autant de tombes étrusques que grecques, lucaniennes ou indigènes ce qui ne simplifie pas les problèmes posés (même encore aujourd'hui) à la recherche archéologique. L'abondante bibliographie internationale en fait foi. Les influences sont nombreuses, complexes : "au niveau de l'interprétation le dernier mot n'a as été dit.".. (Pierre Sommerville, archéologue et chercheur belge).
Napoli, lui, (et bien d'autres depuis) a cherché une autre interprétation possible à la sérénité de ce plongeur qui affronte la mort et s'est intéressé aux influences philosophico-mystico- religieuses courantes en Grande-Grèce à cette époque...Certes, il faut remonter un peu loin dans le temps et tenir compte de certains détails des fresques à première vue pourtant insignifiants...
Il est vrai que la tombe du plongeur est en marge des autres tombes et que, paradoxalement, sa décoration trop sobre pose problème.
Pour suivre les commentaires du découvreur, quelques mots sur les doctrines de l'orphisme et du pythagorisme en Grande-Grèce au VIè s. av. J.C., intéresseront peut-être les plus curieux...
Pythagore ?
On ne sait pas grand'chose sur lui (on aura même oublié aujourd'hui son fameux théorème !)
Deux biographies : celle de Jamblique de Chalcis (IVè s. av. J.C.) et celle de Porphyre de Tyr (IIIè s. av. J.C.)
Emigré de Samos à Crotone puis à Métaponte, il est le fondateur d'une règle de vie mystique et se révélera le principal initiateur de l'évolution de la science grecque au VIè-Vè s. av. J.C. en occident.
Dans la mouvance religieuse, il enseigne la métempsychose, l'immortalité de l'âme (dogme proche de l'orphisme, doctrine religieuse contemporaine : l'homme possède une âme immortelle autrefois déchue à la suite d'une faute originelle; après plusieurs incarnations, elle se purifie et tend vers le Bien pour retrouver son géniteur : ZEUS).
Les initiés à l'orphisme étaient ensevelis dans des feuilles d'olivier, de myrte ou de peuplier noir avec des lamelles d'or inscrites de formules rituelles et de paroles d'espoir : c'était donc une doctrine de salut...
Ils pratiquaient l'ascétisme, le jeûne, la macération, s'abstenaient de manger la chair animale...(des végétariens !)
Ils eurent, comme les pythagoriciens, de nombreux adeptes dans la Grèce archaïque italique et leur influence fut considérable chez les philosophes et les poètes. Par la suite, à l'époque hellénique, ils furent tournés en ridicule, traités de charlatans et réduits à la mendicité de cité en cité. Loin de disparaître, ils eurent un regain d'influence essentiellement mystique dans le néo-pythagorisme.
Revenons maintenant à la tombe du plongeur à la lumière de quelques détails caractéristiques de l'orphico-pythagorisme.
On retiendra des explications précédentes, les allusions, les thèmes, les éléments convergents en faveur d'une interprétation pythagoricienne du décor pour donner un sens possible à l'ensemble des images que présentent les 5 fresques du caisson.
L'intérieur du couvercle :
Le plongeur (dont on a beaucoup parlé) athlétique, intrépide, n'apparaît-il pas "sans peur et sans reproches" ? N'a-t-il pas l'espoir de retrouver un monde plus serein en faisant le grand saut ?
Le défunt aurait-t-il pu être un adepte pythagoricien ?
Oui, si le plongeon est interprété comme une épreuve : le passage à un niveau supérieur, celui où, abandonnant les réalités quotidiennes, le plongeur accède à un au-delà plus proche de la divinité.
Les arbustes sur les deux rives ressemblent bien à des oliviers...
Les colonnes qui servent de plongeoir ont des abaques rectangulaires (cf. celles du grand temple d'Héra à Paestum dont les maçons et les architectes pouvaient appartenir à une confrérie pythagoricienne).
La sobriété, le dépouillement du décor s'accordent bien avec l'ascétisme, la recherche de pureté propre aux philosophies ambiantes.
Quelle différence avec l'atmosphère de fête et de joie de vivre décrite dans la tombe étrusque de la Chasse et de la Pêche ! :
On notera l'animation générale créée par les couronnes, la multitude des oiseaux multicolores, les personnages réduits face au monde animal, dans une chambre réservée au défunt et qui nous fait pénétrer dans l'espace clos d'un lieu imaginaire sans limites, ouvert sur l'infini de la mer et du ciel...
Les autres parois décorées : le symposium
Les convives, tous masculins, boivent ensemble, jouent de la musique; le jeu du kottabos (à symbolisme érotique), l'attitude amoureuse du dernier couple rappellent que nous sommes bien en présence de jeunes et d'adultes grecs (le plus âgé tient le plus jeune par la nuque, geste signifiant entre l'éraste et l'éromène). La consommation de vin et les expériences amoureuses hissent l'adolescent au rang d'adulte dans une sorte d'initiation qui dépasse la relation homosexuelle.
Enfin l'absence totale d'étalage de luxe (tables vides devant les convives, pas de danseur ni d'éléments décoratifs...), contrairement aux banquets étrusques, confirme la condition sociale modeste du défunt.
CONCLUSION (sur les 2 derniers articles)
Cette analyse succincte des fresques originales de la Tombe du Plongeur de Paestum apparaîtra certainement incomplète et superficielle. Elle n'a pour ambition que d'attirer l'attention sur l'intérêt que peut avoir la confrontation des études de spécialistes qui ont multiplié les interprétations sur les fresques de la tombe du plongeur ces derniers temps : leurs études ne satisfont pas notre curiosité et se perdent le plus souvent dans des démonstrations d'érudition qui rivalisent entre elles.... A nous de savoir néanmoins en tirer profit si nous avons au moins la patience de les lire.
Quelques ouvrages :
La tombe du plongeur de Paestum. Article de Persée, 1979. Pierre SOMVILLE
Etude de la relation entre le symposium et le plongeon. Persée, 1996. Daisy Warland
La fresque du plongeur et les fresques étrusques, 1974. Agnès Rouveret